Lettre à un blaireau que je n’ai pas pu sauver

Il faisait tellement beau ce matin. Des champs, des fermes et des collines à perte de vue. J’ai eu envie d’aller courir. J’ai suivi la route près de la maison. J’ai vu un sentier, j’ai bifurqué… et je tombe sur ton arrière-train brun, flottant en plein air, au milieu de la route. Tu as bondi mais sans aller nulle part. Je me suis approchée. Tu étais accroché par le cou, du fer coincé dans ta peau ensanglantée, attaché par un fil de métal à une barrière. Tu te balançais d’un côté et de l’autre, paniqué. Tu forçais de plus en plus.

À ma vue, tu t’es bien sûr braqué davantage. Le fil de fer était bien trop solide pour que je puisse le casser. C’est un instrument conçu pour emprisonner, pour faire mal. J’ai couru vers la maison le plus vite possible, les yeux et les poumons brûlants. Pour la première fois de ma vie, je courais pour sauver une vie. J’ai essayé de trouver un outil pour te libérer. On m’a dit « C’est trop risqué, ils peuvent mordre et griffer. Ils ont la tuberculose. »

On a appelé une association de protection des animaux. On nous a dit qu’ils seraient en chemin bientôt, qu’il fallait appeler la police. Car tu es une espèce protégée ici. Ce pays abrite 25% de la population mondiale de ton espèce. C’est donc un crime faunique de vous faire du mal. Mais la tuberculose se propage parmi vous depuis les années 70, et vous la transmettez aux vaches des fermiers. Un programme national existe pour vous attraper sans vous faire de mal et vous vacciner contre cette maladie. Mais certains n’ont pas de patience. Pourtant les vaches ne sont même pas encore dehors en cette saison…

Ils sont arrivés au bout d’une heure et demie Ils n’arrivaient pas à te trouver. J’ai couru encore, pour leur montrer le chemin. Plus j’avançais sur le sentier, plus je me demandais si j’avais bien pris la bonne route. Je tendais l’oreille mais aucun bruit. Puis je t’ai vu. Tu ne te balançais plus. C’était trop tard. Cette image, je ne pourrai jamais l’oublier.

Ton petit corps inerte, saigné par le fil de fer, me harcelait de questions : comment l’humain peut-il concevoir des instruments pour infliger autant de douleurs à un être vivant ? Au nom de quelle logique peut-on décider d’éliminer avec autant de cruauté certains êtres vivants atteints d’une maladie qui se propage, alors que pour nous, on fait tout pour soigner et sauver des vies ? Et si, malgré votre statut d’espèce protégée, votre épidémie à vous s’appelait encore “Homme” ?

Il faisait tellement beau ce matin…

Rachel, Hillsborough, Irlande du Nord

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