Lettre à mon estime

Ce soir, en rentrant du travail, j’ai allumé ma cigarette. En regardant le ciel vide de Paris comblé uniquement par la fumée qui ressortait de ma bouche, je me suis dit qu’il fallait vraiment qu’on parle. Donc je m’asseois pour t’écrire aujourd’hui parce que tu le mérites.

J’ai trop souvent pensé ne jamais être à la hauteur alors que je me jetais justement dans le vide. Parce que je ne t’ai pas souvent considérée, et j’en suis terriblement navré.

Depuis l’adolescence, j’entends des fausses notes dans notre partition. Dans ces années-là, mes yeux d’enfants perdaient leur éclat. Je sentais bien que la puberté des filles allait me faire perdre une partie de moi, puis de toi.

Je ne t’en veux pas d’être partie si vite. D’ailleurs je ne t’ai pas vraiment retenue. Je me suis bêtement contenté de tendre l’oreille comme un piètre spectateur, pour écouter tes premières fausses notes. J’ai d’abord écouté la haine des autres, quand tu as commencé à jouer à cache-cache dans les couloirs du collège. Puis le rejet, lorsqu’on me dévisageait aux toilettes ou dans les vestiaires. Et pour finir, l’incompréhension. Tu avais commencé par jouer à cache-cache, et tu te cachais si bien, c’en était frustrant. Puis tu as fini par disparaître pour de bon.

La seule chose que je pouvais supporter de voir devant la glace était mes yeux. J’ai regardé de nombreuses fois à travers la buée d’une douche chaude ; mais malgré sa grande taille, ce miroir faussement propre de ma salle de bains partagée avec mes deux frères ne reflétait plus que ton absence.

Le tourbillon était infernal. Dans la salle à manger, j’étais un égoïste ou un enfant malade ; dans la cour de récréation j’étais à peine humain. Mais tu sais à quel point je suis obstiné. Je suis allé à fond, tout au fond. Et puis une fois là, il fallait bien remonter. Il n’y avait pas d’autre chemin.

J’ai enfilé des œillères pour ne plus entendre les voix de ceux qui ne comprenaient rien et j’ai simplement suivi la mienne. J’ai laissé parler le monde, décidé à survivre sans toi.

Pendant ce silence que j’ai pu vraiment t’écouter, te reconquérir un peu. Alors tu as fini par revenir. Tu étais dans l’homme qu’on ne voulait pas que je sois, et j’ai choisi de devenir l’homme que j’avais toujours été.

En suivant tous les deux ce sillon, nos retrouvailles ont été cordiales, douces et lentes. J’étais amusé de voir que nous nous comportions comme deux étrangers sur un banc : chacun avec une envie irrépressible mais jamais entreprise de parler. Juste un sourire affectueux. Depuis, nous avons entamé la discussion. On se remémore le chemin parcouru et celui qui se dessine. Il arrive même que tu glisses une main bienveillante sur mon épaule.

Bien sûr il arrive encore que tu t’éclipses. Lorsqu’on me lance des mots assassins ou que mon cœur tombe en miettes pour une personne qui ne m’a jamais fait de place dans le sien. J’ai tellement peur que tu repartes que je n’ose plus être triste ; comme si mes larmes pouvaient abîmer les instruments que nous sommes en train de réaccorder.

Maël, 22 ans, Paris.

©
📸 @seemoris Caleb Morris ( Caleb George via @unsplash )

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