Lettre à la vieillesse

Quand je pense à toi, je vois tout de suite le visage d’une femme. C’était ma grand-tante. Elle avait le visage dur et doux à la fois. En ayant été institutrice elle a dû cultiver ces deux facettes. Elle se tenait toujours très droite telle une femme sûre et forte. Elle avait souvent le sourire aux lèvres et sa voix s’élevait doucement. Elle avait une énergie débordante et des connaissances à n’en plus finir. Je n’ai rien oublié d’elle, même si son image devient de plus en plus floue.

J’aimerais tellement qu’elle voit ce que je fais aujourd’hui, je suis sûre qu’elle serait ma plus grande fan. Elle serait aussi ma source d’inspiration, mon Bouddha Zen, la voix de la sagesse. Pendant les vacances, je travaille là où elle a toujours œuvré. Je vais aider les personnes âgées qui ont besoin d’aide chez elles. Je suis leurs bras et leur oreille ouverte. Ils m’ont beaucoup appris. Surtout ce que sont les choses importantes. C’est le contact et la discussion qui comptent pour eux. Certes je dois faire le ménage et les courses, mais pour la plupart, ce qu’ils espèrent c’est un peu de temps pour parler. Ces moments m’ont fait du bien autant qu’à eux. Mais quand on travaille le temps est compté, et souvent il faut faire vite. Le temps c’est de l’argent il paraît. Dans des milieux comme ça on devrait pouvoir prendre le temps. Ces personnes voient déjà leur vie diminuée et changée à jamais, et doivent en plus subir l’impatience des autres, parfois leur manque de délicatesse. Eux qui n’ont pas eu une vie facile, eux grâce à qui nous sommes là aujourd’hui.

Mais j’ai décidé de ne garder que les bons côtés. Quand j’atteindrai cet âge, je serai maître spirituelle et je pourrai lire tous les livres que je veux. Si mes yeux peuvent encore voir ! J’aurai aussi sûrement relativisé sur ce qui me fait si peur. Je retrouverai ce que j’ai encore aujourd’hui mais que je perdrai peut-être quand je rentrerai vraiment dans la vie active : étudier des choses que j’ai toujours voulu connaître, faire de nouvelles découvertes chaque jour, me nourrir de livres.

Je t’imagine avec des rides, des gestes mal exécutés, des bribes de vie oubliées. Tu es un peu le fruit du hasard : une fois que tu es là, nous ne savons pas ce qui nous attend. On peut aller très bien jusqu’à la fin mais tout peut basculer avant qu’on ait le temps de s’en rendre compte. Perdre ses facultés fait peur. L’oubli fait peur. Et tout simplement l’approche de la fin.

Je veux bien vieillir. Je n’ai pas peur de toi. Je n’ai pas vraiment le choix en réalité. Mais je veux pouvoir continuer à marcher, à lire, à voir et surtout je ne veux jamais oublier. Je ne veux pas que mes pensées se perdent, que mes connaissances deviennent floues, que mes souvenirs s’évaporent. Je ne veux pas finir ma vie dans un lit non plus. Je veux pouvoir continuer à profiter de l’air extérieur, pouvoir sourire devant les fleurs, me promener et même pourquoi pas, encore voyager.

Demain ce sera moi, et j’essaierai d’apprivoiser cette période et de vivre au jour le jour. C’est loin mais j’y pense parfois. C’est flou et je ne peux pas le contrôler. J’ai sûrement déjà un peu peur. Ce qui n’est pas sous mon contrôle m’angoisse. Il faut lâcher prise. Je vais retourner travailler auprès de ceux qui te connaissent déjà. J’espère y trouver un peu de réconfort.

Emma, Damprichard

Partagez l'article :
  •  
  •  
  •  

Rejoignez la discussion

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *